"Coup sur coup, plusieurs écoles de management viennent d'attirer l'attention sur leurs programmes de spécialité. Ce sont d'abord Grenoble EM, l'EM Normandie et l'ESC Dijon-Bourgogne qui ont décidé de mutualiser leurs cursus spécialisés, et de permettre à leurs étudiants d'accéder à l'ensemble de ces cursus en 3ème année. Ils pourront ainsi obtenir, en plus du diplôme de leur école, un diplôme MS, MSc ou de 3ème cycle de l'institution partenaire. Plus récemment, l'ESC La Rochelle et le groupe ESC Troyes se sont alliées avec l’Escaet et l’IEFT (groupe Idrac) pour créer le premier portail d’admission des écoles supérieures de tourisme.
Quel est l'enjeu ? Quelle est la portée de ces initiatives ? Pour comprendre, remontons assez loin. Traditionnellement, les écoles de gestion présentent un profil "généraliste". On y enseigne à la fois le marketing et la finance, la compta et la stratégie ou la GRH. Bref, l'ensemble des disciplines du management. C'est l'une des raisons de leur succès : les diplômés qu'elles forment disposent d'un bagage large, polyvalent, qui leur permet d'occuper des fonctions variées dans des structures diverses.
Des écoles généralistes... de plus en plus spécialisées
Mais peu à peu, à côté de ce programme "généraliste" (en gros, le cycle "grande école"), ces institutions se sont doté d'une batterie de programmes de spécialité : options de 3ème année, mastères spécialisés, MSc (destinés à l'international), programmes courts de formation continue. Comme elles ne peuvent pas tout faire, elles ont misé sur quelques domaines, en fonction des compétences disponibles au sein de leur corps professoral, des traditions locales, des demandes des industriels, etc. Le plus souvent sans véritable stratégie, en fonction des opportunités.
Au fil du temps, ces programmes ont occupé une place croissante dans le périmètre des écoles. Certaines d'entre elles accueillent ainsi autant, sinon plus d'élèves dans leurs MS, MSc et autres cycles spécialisés que dans leur cursus "grande école". Pour trois raisons : ces programmes sont profitables (ils se vendent couramment plus de 10.000 euros par an), ils sont très prisés des enseignants, et ils sont bons pour l'image de l'école, qui peut ainsi se différencier de la concurrence. Résultat, à des ensembles souvent hétéroclites au départ ont succédé de véritables pôles d'expertise, alliant cursus de spécialité, formation continue et laboratoire de recherche, le tout en liaison avec les entreprises.
Par la suite, progressivement, certaines écoles acquis une solide notoriété sur tel ou tel domaine. Au point qu'aujourd'hui, ces pôles d'expertise jouent un rôle clé dans l'image et l'identité des écoles. De leur "marque", pour reprendre un terme à la mode.
Prenons l'exemple de l'ESC-Dijon-Bourgogne. Qu'est-ce qui fait sa notoriété, en France et à l'international ? Avant tout, son pôle de formation dans le domaine du vin. On y trouve déjà, regroupés depuis novembre sous la nouvelle bannière "School of wine & spirits business", quatre programmes : un MS "Commerce international des vins et spiritueux" (en versions "full time" et "part time"), un MSc "Wine Business", un MSc "Wine Management", ainsi que le MS "Management des entreprises culturelles et des industries créatives", lui aussi de plus en plus tourné vers le vin. Et le portefeuille est appelé à s'enrichir encore, par exemple en faisant appel aux MOOCs, ou avec le développement de l'"Executive Education" autour du vin. Le tout compte déjà huit professeurs permanents. Au sein du groupe, la nouvelle "School" dispose d'une autonomie de décision - en matière d'investissement, de choix des partenaires, de recherche... Même si certains services sont partagés. Le directeur général, Stéphan Bourcieu, ne s'en cache pas : "Notre champ d'expertise pour rayonner, c'est le Wine & Spirit Business, souligne-t-il. C'est un domaine sur lequel nous sommes totalement légitimes, en phase avec notre implantation régionale. Notre ambition est de devenir la référence mondiale sur ce sujet.
Mais pour autant, nous n'allons pas devenir l'école du management des vins et spiritueux. Nous restons une école généraliste."
De la même façon, la formation dans le domaine du tourisme est la marque distinctive de l'ESC La Rochelle. Idem pour l'EM Normandie avec le management portuaire - l'école possède une indiscutable légitimité dans ce domaine. Même chose encore pour Grenoble EM avec le management de la technologie, un sillon que l'école laboure avec ténacité depuis sa création. De même, l'Edhec a incontestablement réussi avec la finance, l'Edhec Risk and Resaerch Center. Le groupe ESC Troyes, qui mise sur son école de tourisme, bénéficie aussi d'une solide notoriété en matière d'innovation et d'entrepreneuriat.
Quelles sont les prochaines étapes prévisibles de ce mouvement ?
D'abord, on peut imaginer que les écoles vont investir encore davantage pour muscler ces pôles d'expertise et les faire connaître, notamment à l'international. Mais ces investissements risquent aussi de se faire au détriment d'autres pôles de compétences - car il est difficile de posséder une vraie expertise dans 4 ou 5 domaines, et plus encore de les promouvoir : on risque de brouiller le message. Mieux vaut sans doute miser sur un seul domaine, sur lequel on peut être leader incontournable.
Une stratégie qui favorise les coopérations
Reste qu'à terme, même la formation "généraliste" pourrait pâtir de cette évolution. Mais il est vrai que dans cette période d'incertitudes et de restrictions budgétaires, une telle stratégie peut offrir une planche de salut pour nombre d'institutions. Déjà, celles qui ne disposent pas d'un pôle d'expertise reconnu sont à la peine. Qui peut dire quel est (était ?) le vrai point fort de l'ESC Saint-Etienne ? En revanche, les écoles leaders, les "parisiennes", peuvent continuer à cultiver leur image généraliste - ce qui ne les empêche pas de jouer aussi la carte de l'excellence sur quelques thèmes.
Cette stratégie peut aussi conduire à multiplier les partenariats. "La mutualisation d'expertises entre nos écoles est une voie d'avenir", estime ainsi Jean-François Fiorina, directeur de l'ESC Grenoble. "Etre une école généraliste est à la fois une force et une faiblesse, analyse de son côté Stéphan Bourcieu. Les profils généralistes que nous formons ont une vision d'ensemble, certes. Mais cela nous conduit aussi à diluer nos ressources. Il est difficile de faire vivre un corps professoral composé de dix départements différents, sauf à disposer de moyens considérables. C'est pourquoi on se dirige sans doute vers une spécialisation croissante des écoles. Chacune continuera d'offrir les enseignements de base, et misera sur deux ou trois domaines, pas davantage, pour ses enseignements d'expertise. Cela ouvre la voie à des coopérations multiples. Et cela peut constituer une alternative aux fusions."
Si cette stratégie semble aujourd'hui d'actualité pour les business schools, elle peut aussi le devenir pour les écoles d'ingénieurs. Déjà, à l'Ecole des Mines de Nantes, le laboratoire Subatech (physique subatomique et technologies associées), qui aligne 200 personnes (chercheurs et techniciens), pèse presque autant, en termes d'effectifs salariés, que l'école elle-même. Et sa notoriété a largement dépassé les frontières. Autre exemple, les Mines d'Alès, de plus en plus reconnues pour leur excellence en matière d'innovation et d'entrepreneuriat.
Demain, ce sera peut-être au tour des universités de s'engager dans cette voie..."
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